À quoi je sers ?

Le bonheur est aussi une question de perspectives. Pour Martin Seligman et la psychologie positive, l’une des dimensions qui favorise le plus le bonheur se trouve dans « la vie significative » (the meaningful life), c’est-à-dire la dimension de notre vie qui dépasse notre propre existence. Tal Ben-Sahar évoque également le bonheur des gens qui sont capables de replacer leur activité professionnelle dans une perspective plus large qu’eux-mêmes pour y trouver du sens. Cela me fait penser à la fable des casseurs de cailloux : un homme chemine le long d’une route. Sur le chemin, il croise un premier ouvrier qui s’éreinte à casser des cailloux. « Que faites-vous donc ? » lui demande l’homme. « Vous le voyez, répond l’autre, je me brise à casser des cailloux ». Un peu plus loin, l’homme rencontre un deuxième casseur de cailloux : « Que faites-vous donc ? » demande-t-il à nouveau. « Je travaille pour nourrir ma famille, c’est tout ce que j’ai trouvé et c’est mieux que rien » répond celui-ci. Encore plus loin, l’homme rencontre un troisième casseur de cailloux : « Que faites-vous donc ? » demande-t-il encore. « Moi, Monsieur, je construis une cathédrale ! » répond ce dernier avec passion. Les trois personnages font exactement la même chose. Mais lequel, à votre avis, est le plus heureux ? Pour lequel casser des cailloux est-il le plus pénible ?

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Cette fable nous rappelle bien que la valeur de ce que nous faisons est avant tout dans notre tête. Deux actions absolument identiques par elles-mêmes peuvent avoir une signification complètement différente suivant qu’on en reste aux actes purs ou qu’on les replace dans un contexte plus large que soi. C’est particulièrement important dans le monde du travail et conditionne grandement la satisfaction que nous pouvons en tirer. Le travail d’un médecin peut être routinier et ennuyeux s’il ne considère que des cas à enchaîner et des ordonnances à remplir. Un travail plus répétitif comme celui d’un caissier peut aussi être motivant s’il a conscience d’être un des rouages qui assurent la bonne marche du magasin et d’être en mesure de faciliter la vie des clients. L’adage populaire le dit : « il n’y a pas de sot métier », ce qui signifie d’abord qu’il n’y a pas de métier inutile. Tout travail apporte quelque chose à la collectivité. Toute activité a donc une dimension « significative » plus grande que nous-même. C’est cette dimension qu’on perd parfois de vue et qu’il s’agit de retrouver.

Plusieurs questions peuvent nous guider. La première : quelle est ma mission dans ce grand ensemble ? Il s’agit de dépasser la seule fiche de poste pour se demander quel rôle a mon travail dans la collectivité en général. Par exemple, enseigner le français aux expatriés, ce n’est pas uniquement faire cours, c’est aussi diffuser une langue dans le monde, être l’ambassadeur d’une culture. La deuxième question que l’on peut se poser est : quelle influence, directe ou indirecte, mon travail a-t-il sur autrui ? Ce que je prépare pour lui ou la manière dont je l’accueille ont une importance. L’hygiène d’un repas, la qualité d’une pièce automobile, un accueil souriant peuvent faire une grande différence. Il s’agit donc, chacun à notre niveau, de reprendre nos responsabilités et de nous demander ce que nous pouvons apporter au grand ensemble. La dernière question est : quelles sont les retombées positives de mon travail sur mes proches et moi ? Un salaire, certes, mais aussi des compétences développées, une vie sociale… Prendre conscience des bénéfices primaires et secondaires d’une activité est encore une façon de retrouver ce qui est plus grand que nous.
Retrouvons-nous dans quelques jours dans notre rubrique « exercices » pour reprendre ces questions plus en détail.

Une réflexion au sujet de « À quoi je sers ? »

  1. Merci pour cet article.

    Si comme vous le montrez très bien, le sens que nous donnons à notre travail est avant tout une question d’attitude, il faut bien reconnaitre que les jobs ne sont pas non plus égaux entre eux en terme d’effort pour avoir la bonne attitude…

    Le taylorisme et la spécialisation à outrance ont contribué à vider le travail de son sens, le rendant répétitif et spécifique : il est devenu plus difficile d’avoir la perception de l’ensemble quand nous ne sommes qu’un maillon de la chaine.

    La pauvre caissière, dont le job n’est pas vraiment agréable (position inconfortable, infantilisant – mépris des clients, doit demander l’autorisation pour aller aux toilettes, exposé au courant d’air), peu engageant (pas de défi, hyper-répétitif, absence de libre-arbitre), solitaire (au moins les mineurs de charbon bénéficiait d’un esprit de camaraderie), devra faire un sacré travail sur elle-même pour réussir à en extraire le sens…

    A contrario, le campagnon artisan qui passait des heures sur son chef d’œuvre jouissait d’œuvrer de A à Z à sa création, de la reconnaissance de ses pairs et des autres, du défi de son ouvrage et de la variété des tâches. Il ne lui fallait guère « d’effort » en terme d’attitude, pour extraire le sens dans son travail (et c’est bien pour cela qu’il travaillait à son chef d’œuvre durant son temps libre).

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