Le bonheur chez Aristote

Philosophe de l’antiquité grecque (384-322 AVJC), Aristote rentre à « l’Académie » de Platon à l’âge de 17 ans et restera son disciple pendant 20 ans. Mais celui qui se disait « ami de Platon et plus encore de la vérité » critiquera les idées du maître et finira par fonder sa propre école (« le lycée »). En 343, il est choisi pour devenir le précepteur du futur Alexandre le Grand. Accusé d’impiété à la mort d’Alexandre, il doit quitter Athènes et s’exiler.

•    Pour Aristote, le bonheur est le but de la vie humaine, le bien suprême.
•    Le bonheur est un bien qui n’est pas fourni par l’extérieur mais qu’on doit trouver en soi-même, dans sa propre activité.
•    On le rencontre quand on concrétise nos spécificités d’êtres humains, c’est-à-dire quand on agit et qu’on le fait de façon raisonnée.
•    Le rapport à l’autre, et notamment l’amitié, sont des éléments importants du bonheur.

Aristote

Le bonheur est pour Aristote le Souverain Bien, c’est-à-dire le bien ultime, celui qu’on recherche pour lui-même et non en vue d’un autre bien. Il s’agit du bien vers lequel tous les autres sont orientés (par exemple, bien peu de personnes souhaitent avoir de l’argent pour l’argent lui-même, mais on le recherche pour ce qu’il permet : du temps sans travailler, des sorties, des vacances… et ce sont de ces choses-là qu’on attend un accroissement de bonheur). Le bonheur est ainsi quelque chose d’indépendant et d’auto-suffisant.

Quelle est la nature du bonheur ? Si on s’arrête aux opinions, on constate vite qu’elles divergent. Ce qui représente le bonheur varie d’un individu à l’autre, et même varie pour la même personne en fonction des époques : mon idéal de bonheur à 20 ans n’est pas le même que mon idéal de bonheur à 60 ans. C’est que le bonheur se pense souvent comme le comblement d’un manque : si je suis malade, mon idéal de bonheur sera la santé, si je suis pauvre, ce sera la richesse. Dès lors que le manque est comblé, le désir se porte vers un autre objet, et l’idée que l’on se fait du bonheur change de contenu.

Par delà ce concert d’opinions communes, Aristote constate qu’il est possible de distinguer 3 grandes façons d’entendre le bonheur, selon le type de vie que l’on mène : une vie matérialiste (1), une vie politique (2) ou une vie intellectuelle (3).

1- Pour « la masse et les gens les plus grossiers », le bonheur, « c’est le plaisir ». Nombreux sont ceux qui confondent bonheur et plaisir et cherchent le bonheur dans la satisfaction des sens. Or, nous dit Aristote, ceci est un leurre. Le bonheur ne se trouve pas dans l’hédonisme. Il ne s’agit pas pour lui de nous détourner des plaisirs terrestres et matériels, au contraire, il est le premier à reconnaître qu’il est très difficile d’être heureux si l’essentiel nous manque. L’erreur, selon lui, est de croire que les plaisirs et les biens matériels constituent le but ultime, alors qu’ils ne sont au mieux que des moyens vers quelque chose de supérieur, qui constitue le vrai bonheur. Faute de voir qu’il existe un bien supérieur, on reste donc bloqué dans un hédonisme stérile.

2- Les « esprits distingués et vraiment actifs placent le bonheur dans la gloire ». Dit autrement, ceux qui ont une vie sociale et politique active placent souvent le bonheur dans les succès et les honneurs. Pour l’individu, c’est une façon de faire valider ses qualités par la communauté en les rendant publiques. L’inconvénient avec cette conception du bonheur est qu’elle provient de quelque chose qui ne vient pas de l’intériorité de l’individu, mais qui lui est accordé de l’extérieur par la communauté. Que se passe-t-il, alors, le jour où les honneurs ne viennent plus ?

3- les sages, quant à eux, trouvent le bonheur en eux-mêmes, dans la contemplation. Le bonheur du sage a une dimension idéale et divine qui en fait plus un horizon qu’un véritable but à atteindre pour l’être humain. Il n’en faut pas moins développer cet aspect de nous-mêmes si nous voulons dépasser l’hédonisme et la compétition sociale. Le bonheur du sage nous renseigne sur la nature du bonheur véritable : il se trouve en soi-même, ne dépend pas des aléas du monde extérieur, il est le résultat d’une activité volontaire qui est agréable pour l’individu, et en ce sens, est relativement continu.

Est-il possible alors de déterminer un contenu fiable au bonheur ? Le bonheur ne peut qu’être recherché pour lui-même et non en vue d’une autre chose. Plaisir et gloire sont de ce type, et c’est ce qui explique qu’on puisse s’illusionner et les prendre pour le bonheur véritable. Pour découvrir quel est le bonheur de l’Homme, il faut s’interroger sur la nature et la fonction spécifique de l’être humain. Par exemple, la fin ultime de l’œil est de voir, quelle est la fin ultime de l’Homme ? Pour Aristote, si on compare l’être humain aux autres êtres vivants, on constate que ce qui fait sa nature spécifique est de mener la vie active de l’être doué de raison. Ainsi, la fin ultime de l’Homme, ce qui constitue son essence spécifique, est l’activité rationnelle.

Pour Aristote, le bonheur se trouve dans l’activité rationnelle. Qu’est-ce que cela signifie ? D’abord que le bonheur n’est pas un état stable et passif où l’activité de penser serait suffisante pour apporter le bonheur. Au contraire, le bonheur est action, activation permanente de la fonction propre de l’individu. Le bonheur survient quand on agit selon la raison.

Agir selon la raison, c’est donc agir de façon raisonnée, selon un certain nombre de principes et de valeur. Vous l’aurez compris : la vertu joue un grand rôle dans l’accès au bonheur. La vertu, dans le vocabulaire d’Aristote, n’est pas à comprendre dans son sens judéo-chrétien, comme une chasteté ou encore comme une propension compassée à faire le bien. La vertu, chez Aristote, se trouve entre connaissance et action : c’est une volonté de bien agir qui, à force de s’actualiser, devient une habitude. La vertu est donc à comprendre comme une tendance à bien agir soutenue par la volonté de bien faire. « Nous sommes ce que nous répétons sans cesse. L’excellence n’est donc pas un acte, mais une habitude » . Il y a donc en fait deux éléments dans la vertu : une vertu intellectuelle, qui s’acquiert par l’éducation et une vertu morale, qui s’acquiert par l’habitude de bien agir. La vertu qui conduit au bonheur est donc l’habitude d’une activité bien pensée.

Et c’est ici que le plaisir revient dans la pensée d’Aristote. Il ne s’agit pas ici du plaisir hédoniste, mais au contraire du plaisir à agir selon sa nature, à actualiser ses potentialités d’homme rationnel. C’est un plaisir comme complétude de notre nature, c’est donc le plus humain des plaisirs. Aucune contrainte dans le bien agir de l’homme vertueux, au contraire, il ressent du plaisir en agissant bien. Plaisir et vertu se renforcent donc l’un l’autre. Le bonheur est donc une activité qui apporte un plaisir constant. Ce plaisir continu ne peut être apporté que par un plaisir intellectuel, intérieur, stable et non par un plaisir sensible, lié à un objet extérieur et qui s’épuise vite. Nous retrouvons ici le caractère autosuffisant qui doit caractériser le bonheur. Le bonheur ne peut venir que de nous-même. Tous les autres plaisirs conformes à ces critères sont donc des biens qui peuvent nous soutenir sur le chemin-habitude du bonheur (l’amitié, l’art, un bon repas sans excès…)

Quelles sont alors les activités rationnelles qui peuvent nous mener vers le bonheur ? L’action conforme à ma nature peut être de deux sortes : les actions de productions (par exemple, la création d’une œuvre d’art ou la conception d’une machine) et les actions qui ne renvoient à  rien d’autre qu’elles-mêmes et s’auto-justifient (la beauté du geste). Que sont les actions de ce second type ? L’Homme est un être social et il ne saurait trouver le bonheur en contraignant sa nature. C’est donc dans le commerce bien pensé avec autrui que l’Homme agit vraiment rationnellement et selon sa nature. À ce titre, Aristote considère l’amitié comme une condition du bonheur. L’Homme ne trouvera donc son plein épanouissement que dans la société, par ses relations avec autrui : des relations personnelles avec les amis d’abord (la famille n’avait pas grande presse dans la Grèce antique) et plus largement dans ses relations sociales et engagements sociaux au sein de la cité.

Textes de référence :
Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre I et X

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