Le bonheur chez Kant

Emmanuel Kant, philosophe allemand (1724-1804) passe toute sa vie à Koenigsberg (actuel territoire russe), où il se consacre à l’étude et à l’enseignement. Son œuvre immense  s’intéresse à tous les sujets. De santé très fragile, mais se sentant investi d’une importante mission, il la mène à bien en économisant ses forces par une hygiène de vie stricte et routinière. La légende veut d’ailleurs que les habitants aient réglé leur montre sur la promenade digestive du philosophe. Lorsqu’il s’éteint, ses derniers mots furent « c’est bien ». 

Kant

Au siècle des lumières, alors qu’un enthousiasme pour le progrès sensé apporter et répandre le bonheur se lève parmi les penseurs, la conception kantienne du bonheur apparaît plus sombre. C’est que, contrairement aux philosophies eudémonistes d’Aristote ou d’Épicure, Kant ne fait pas du bonheur le bien ultime (le souverain bien) que l’homme puisse rechercher.

Kant définit le bonheur comme la satisfaction complète des besoins et des inclinations (c’est-à-dire des désirs). Il ne s’agit donc plus ici de sagesse ou de disposition de l’âme, mais de la somme de tout ce qui vient, de l’extérieur, apaiser nos tensions intérieures. L’ennui est que personne ne sait exactement quel est le contenu du bonheur, ni en général, ni même pour lui-même. Le bonheur est donc une « idée flottante ». Il y a une impossibilité logique à donner un contenu au bonheur. En effet, si le bonheur est la satisfaction complète des besoins et des désirs, les objets qui constituent le bonheur sont nécessairement issus de l’expérience empirique. Mais l’idée de bonheur est par définition un maximum de bien-être présent et futur, c’est donc un absolu. Or, aucun absolu en peut jamais se trouver dans le monde empirique. L’idée de bonheur et sa réalisation ne se rencontrent donc jamais. Le concept de bonheur ne peut donc être autrement qu’indéterminé, c’est un « idéal, non de la raison, mais de l’imagination ».

Et pourtant, il y a un penchant naturel de l’homme à rechercher le bonheur. Évidemment, si je me porte naturellement vers des désirs, le bonheur, qui constitue la somme de ces désirs est recherché conjointement. Cependant, le bonheur n’est pas pour Kant la priorité, il passe en second par rapport au devoir. C’est vers lui que nous devons nous tourner en vertu d’un impératif (l’impératif catégorique) issu de notre nature d’êtres raisonnables. Kant montre que le bonheur ne peut en aucun cas être utilisé comme principe de la loi morale. En effet, si on se montre vertueux pour obtenir quelque chose (bonheur ou autre), alors il s’agit d’une action intéressée. La morale se définissant justement par l’action universalisable d’une volonté désintéressée, il est clair que la poursuite du bonheur personnel ne peut pas être un principe moral. La morale a donc priorité sur le bonheur, ce qui signifie qu’il faut savoir renoncer à son bonheur pour accomplir son devoir. Malheureusement, suivre son devoir n’est en rien une garantie de bonheur, il n’est pas dans les desseins de la nature de mettre sur notre chemin de quoi satisfaire nos désirs pour nous récompenser. Le mieux que nous puissions faire est de nous rendre dignes du bonheur par notre bonne volonté, tout en sachant qu’il reste attaché, dans le concept kantien de bonheur, l’idée d’une réception de bienfaits relevant en bonne part de la chance (et qui tombe parfois sur les égoïstes).

Évidemment, il n’est pas si facile de renoncer au bonheur pour accomplir notre devoir. Par rapport au devoir, le bonheur fonctionne comme une force de résistance : dès que notre bonheur n’est pas aligné avec nos devoirs, nous négocions avec nous-mêmes pour discréditer la raison qui nous montre quels devoirs sont les nôtres et nous persuader que nos désirs constituent notre réel devoir. C’est pourquoi il peut, paradoxalement, relever de notre devoir d’assurer notre propre bonheur (dans ses éléments conformes au devoir, bien entendu), car le fait d’être sous la pression de soucis et de besoins insatisfaits finit par devenir une tentation trop forte d’enfreindre nos devoirs. Tel un sportif, donc, nous assurer un relatif confort physique et mental nous donne plus de force pour répondre aux exigences de nos devoirs.

Textes de référence :

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