Voilà a contrario, 3 CD qui tiennent leurs promesses, car c’est bien de bonheur et uniquement de bonheur que nous dissertons ici. Le premier CD est tenu par André Comte-Sponville, vous y retrouverez pour l’essentiel l’exposé qui avait fait l’objet d’un petit ouvrage Le bonheur désespérément. Le deuxième CD contient l’exposé de François Jullien, spécialiste de la pensée chinoise. Le troisième est consacré aux questions que s’adressent les deux invités. L’exposé d’André Comte-Sponville est très clair et pédagogique. Il soutient, en visitant entre autres Platon et Spinoza, que le bonheur risque fort de nous échapper tant que nous en faisons un but, et que notre chance de le retrouver est d’en faire non pas un but mais une expérience. L’exposé de François Jullien sera plus difficile d’accès si vous n’avez pas de bagage philosophique, mais il est particulièrement intéressant et vaut la peine que vous vous accrochiez un peu si besoin est. On y apprend notamment que la Chine n’a pas pensé le bonheur comme la pensée indo-européenne a pu le faire. La Chine n’a en effet pas construit d’opposition entre bonheur et malheur, elle n’a pas non plus élaboré de concepts d’âme, de corps ou de finalité, pas d’ontologie en Chine, pas de pensée de l’être, de pensée du manque ni de pensée de l’éternité. Toutes les questions fondamentales de la Grèce n’ont pas été pensées en Chine. C’est donc une vision tout à fait différente que François Jullien déroule sous nos yeux. On regrette de ne pas en apprendre plus et vous aurez sûrement, comme moi, l’envie de creuser la question. Le dernier CD est à réserver aux initiés, sautez-le sans regrets si vous vous sentez largué, le plus intéressant de l’enregistrement n’est pas là.
Étiquette : Comte-Sponville
André Comte-Sponville / Le bonheur, désespérément
Ce petit opus est la transcription d’une conférence donnée en 1999 (souvent reprise) et suivie par une période de questions du public, elles aussi retranscrites. Dans un premier temps, Comte-Sponville s’interroge sur les raisons pour lesquelles nous sommes si peu ou si difficilement heureux. C’est qu’il semble y avoir, dans le bonheur lui-même, une contradiction logique. Tout homme désire être heureux. Or, la nature du désir semble nous condamner au tragique : le désir est manque si bien que tout désir comblé disparaît bientôt comme désir ; ce qu’on vient d’obtenir ne nous intéresse déjà plus, l’ennui point. Ce que je désirais, et qui devait faire mon bonheur, déçoit ; le bonheur lui-même que je désire, lorsque je l’atteins, m’ennuie. Le bonheur, coincé entre les oscillations du désir et de l’ennui, n’est donc que fugacement entraperçu et au final, perpétuellement manqué. Ne peut-on désirer ce qu’on a, et donc être heureux ? Oui, répond Compte-Sponville, mais alors il faut ramener le bonheur du côté de la joie et du plaisir. L’erreur, quand on définit le désir comme manque, c’est de l’assimiler à l’espérance. Espérer, selon Compte-Sponville, revient à désirer sans savoir (on ignore l’issue de notre espérance), sans pouvoir (on n’espère que ce qui ne dépend pas de nous) et sans jouir (la jouissance est sans cesse ajournée). Or, tout le désir n’est pas espérance. Il suffit donc d’écarter, dans notre désir de bonheur ou dans notre désir vers le bonheur, tout ce qui relève de l’espérance. Ceci distingué, il est évident – et même souhaitable – qu’on peut désirer ce qu’on sait, ce qu’on peut, ce qu’on a, bref, ce qui dépend de nous, et que nous pouvons nous en réjouir. C’est donc par là qu’il y a un bonheur possible en actes. Le bonheur désespéré, c’est donc un bonheur qui enracine son désir dans le présent en s’étant débarrassé du tragique de l’espérance.