Le bonheur chez Nietzsche

Elève prodige, Nietzsche obtient à 25 ans un poste à l’université alors qu’il n’a pas de thèse. C’est à cette époque qu’il rencontre Wagner. Il démissionne 10 ans plus tard pour vivre en nomade en Italie, France et Bohème, période de maturation de son oeuvre. La fin de sa vie verra une descente dans la folie, dont il ne reviendra pas. Après sa mort, sa sœur Elizabeth tenta d’utiliser sa pensée pour servir ses convictions nazie. Elle publiera des notes, allant jusqu’à en réécrire des parties. Ce sera l’ouvrage posthume : La volonté de puissance. 

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La vie ne tend pas au bonheur pour Nietzsche, qui critique en cela les philosophies eudémonistes classiques. C’est que la vie est pensée ici comme une énergie. Il s’agit d’une force vitale qui pousse tout être vivant, de la bactérie à la civilisation, à étendre son pouvoir sur ce qui l’entoure, à tenter de se l’approprier, l’assimiler, le digérer pour le soumettre à sa loi. Il n’y a ici rien de moral ou d’immoral, il s’agit juste d’un état de fait : la vie est comme ça, elle est « volonté de puissance »[1]. La vie est donc par nature Lire la suite

La joie

 « Par joie, j’entendrai donc […] une passion par laquelle l’Esprit passe à une perfection plus grande » Spinoza, L’Éthique, Livre III, XI, scolie

La joie se trouve à mi-chemin entre le bonheur et le plaisir. Du premier, elle n’a pas l’enracinement stable, du second, elle n’a pas la partialité éphémère. La joie serait plutôt un entrain de l’âme, une envie de sourire, un contentement d’être en vie. Peu de philosophes se sont penchés sur ce sentiment. C’est pourtant un concept central chez Spinoza.

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Pour bien comprendre l’importance que donne Spinoza à la joie dans toute notre vie, au point d’en faire même le critère du bien et du mal, il faut comprendre le concept très spinoziste de conatus. Le conatus est « l’effort pour persévérer dans son être ». Dit autrement, chaque être vivant : hommes, animaux, plantes ou bactéries sont tous animés par un élan vital qui les pousse à réaliser ce qu’ils sont, à développer au maximum leurs facultés. Par exemple, une plante cherchera à pousser, à s’étendre, à polliniser car c’est là sa nature de plante. Un animal, plus complexe, cherchera à survivre, à manger, à se reproduire, voire à monter dans l’échelle sociale de la meute… Un homme, en plus de tout cela, cherchera aussi à développer ses talents propres, sa personnalité unique, bref, à accroître autant que faire se peut sa puissance d’agir sur le monde qui l’entoure.

C’est ici qu’interviennent la joie et son corollaire : la tristesse. Dans mon activité sur le monde et les essais que je fais pour affirmer et étendre ma puissance d’agir, certaines actions sont couronnées de succès : elles provoquent de la joie ; certaines actions échouent et me mettent face à mes limites : elles provoquent de la tristesse. Joie et tristesse sont des « affects », c’est-à-dire à la fois des sensations physiques et des représentations mentales susceptibles d’augmenter ou de diminuer en fonction des causes qui les provoquent. La joie est donc ce que je ressens lorsque j’éprouve une augmentation de ma puissance d’agir. C’est une allégresse de l’âme, un entrain du corps, causés par une expérience positive.

Cependant, Spinoza est très clair à ce propos, la joie n’est pas un état stable : c’est un passage. Elle va donc diminuer jusqu’à ce qu’on se soit habitué à notre nouvel état, laisser place à une joie nouvelle ou à une tristesse, en fonction des fluctuations permanentes que mes expériences me renvoient quant à ma puissance d’agir. La joie est donc une passivité qui dépend des événements et sur laquelle je ne peux rien ? Pas tout à fait. Certes, je ne peux pas échapper aux flux des événements et aux affects qu’ils provoquent en moi. Mais pour ne pas nous retrouver constamment ballottés entre joie et tristesse, Spinoza nous enjoint à passer d’une joie passive à une joie plus active, dans laquelle les événements extérieurs sont accueillis avec une approbation de la raison. Si je comprends ce qui me fait agir, avec ses limites, alors je ne peux pas exiger de ma puissance d’agir plus qu’elle ne peut fournir, j’ajuste mon désir à mes capacités. Dès lors, je comprends que ma puissance d’agir ne peut qu’augmenter progressivement, mais cette fois dans la cohérence et l’amour de soi-même.



[1] Spinoza, L’Éthique, Livre III, XI, scolie