Le bonheur chez Nietzsche

Elève prodige, Nietzsche obtient à 25 ans un poste à l’université alors qu’il n’a pas de thèse. C’est à cette époque qu’il rencontre Wagner. Il démissionne 10 ans plus tard pour vivre en nomade en Italie, France et Bohème, période de maturation de son oeuvre. La fin de sa vie verra une descente dans la folie, dont il ne reviendra pas. Après sa mort, sa sœur Elizabeth tenta d’utiliser sa pensée pour servir ses convictions nazie. Elle publiera des notes, allant jusqu’à en réécrire des parties. Ce sera l’ouvrage posthume : La volonté de puissance. 

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La vie ne tend pas au bonheur pour Nietzsche, qui critique en cela les philosophies eudémonistes classiques. C’est que la vie est pensée ici comme une énergie. Il s’agit d’une force vitale qui pousse tout être vivant, de la bactérie à la civilisation, à étendre son pouvoir sur ce qui l’entoure, à tenter de se l’approprier, l’assimiler, le digérer pour le soumettre à sa loi. Il n’y a ici rien de moral ou d’immoral, il s’agit juste d’un état de fait : la vie est comme ça, elle est « volonté de puissance »[1]. La vie est donc par nature Lire la suite

Faut-il préférer le bonheur à la vérité ?

Je vous propose cette semaine une réflexion dans le prolongement de celle ouverte il y a quelques semaines par la machine de Nozick. On y avait vu que si, comme on a tendance à le croire, l’être humain recherchait par dessus tout à être heureux, alors toute personne devrait souhaiter se brancher à la machine. Or, l’expérience de pensée soumise à un grand nombre d’individus montre qu’au contraire, très peu de gens le ferait, indiquant par là que le bonheur n’est pas nécessairement pour eux la valeur suprême. Ce qui nous mène à la question philosophique de cette semaine : faut-il préférer le bonheur à la vérité ?

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Implicitement, la question ne semble se poser que dans des situations où elles s’excluent l’une l’autre. Ce serait bonheur ou vérité, comme si on ne pouvait avoir les deux en même temps, comme si le bonheur ne pouvait que s’accompagner du mensonge et que la vérité ne pouvait que faire notre malheur. Dans une telle situation, on peut vouloir d’abord entendre le « faut-il ?» comme un « doit-on ?». Nous sommes alors renvoyés à la question des devoirs, comme si chacun d’entre nous, en toutes circonstances, avait le devoir de préférer l’un à l’autre. Doit-on donc préférer la vérité au bonheur, comme s’il y avait là un devoir envers soi-même, une dignité particulière ? Doit-on au contraire préférer le bonheur à la vérité, poussés par ce qui serait un respect envers notre nature, définie alors principalement sous son aspect jouissif ? La question des devoirs envers soi-même et des contenus de ces devoirs étant déjà philosophiquement problématique, c’est à grand peine qu’on fonderait ici un devoir prioritaire envers soi-même pour l’un ou pour l’autre, pour le bonheur ou pour la vérité.

Se poser la question serait alors plutôt à entendre sur le mode du conseil, comme un « vaut-il mieux choisir le bonheur contre la vérité ou la vérité contre le bonheur » ? Vous l’aurez compris, ce « vaut-il mieux » ne peut faire l’économie du « par rapport à quoi ? ». Par rapport à mes intérêts ? Sans doute est-ce la vérité qu’il faut alors privilégier. Par rapport à mon bien-être global ? Bien malin celui qui sait dès maintenant quelle alternative lui sera la plus heureuse au final. Une vérité douloureuse mais libératrice vaut peut-être mieux qu’une illusion confortable bercée trop longtemps. Eviter un malheur présent n’est peut-être pas un bon calcul à long terme. Difficile, donc, de se prononcer sur la meilleure des deux options d’un point de vue pragmatique, y compris par rapport au bonheur lui-même. Si bonheur et vérité semblent d’abord s’exclurent, ils peuvent aussi se rejoindre par-delà le malheur présent. On aboutirait alors à un bonheur par la vérité, comme s’il s’agissait d’un chemin détourné mais plus solide à long terme.

Vous l’aurez compris, il n’y a pas de « bonne réponse » à cette question, mais plutôt des choix et des implications. En choisissant la vérité au bonheur, je fais un choix sur la personne que je désire être. Ne pas mettre la tête dans le sable et choisir de faire face à une vérité désagréable est aussi une façon de s’assumer, d’assumer la vie avec ses dimensions déplaisantes et de se montrer responsable face au monde. On peut choisir la vérité, avec les souffrances qu’elle suppose, et en tirer, si ce n’est un bonheur en soi, au moins une certaine idée de soi-même. Se choisir responsable et malheureux plutôt qu’heureux dans l’illusion est aussi un choix rationnel qui engage l’être. Tout comme le choix inverse. En choisissant le bonheur à la vérité, j’indique que la dimension la plus importante de mon être est de jouir de la vie, quitte à en rester au niveau superficiel des choses et des relations, quitte à être un « imbécile heureux ». Quitte aussi à mentir et faire souffrir ? Nous n’avons envisagé jusqu’ici que la vérité qui nous concernait, mais elle peut aussi mettre autrui en jeu. Préférer mon bonheur à la vérité pour autrui est ainsi courir le risque d’être injuste. Laisserais-je un innocent être accusé parce que c’est mieux pour moi de mentir ou de me taire ? Remarquez comment les pires dérives égoïstes peuvent découler de cette position.

Et quand bonheur et vérité concernent autrui ? L’exemple le plus classique : dire à un(e) proche que sa ou son conjoint(e) le(la) trompe. Quel est mon devoir prioritaire envers cet(te) ami(e) ? Lui dois-je d’abord le bonheur ou d’abord la vérité ? Je peux faire un choix qui engage la signification de l’être pour moi-même, mais c’est impossible de faire le choix de l’être pour autrui. C’est donc du côté de la relation elle-même qu’il faut alors chercher. On trouve chez Hegel l’idée que nous n’avons pas le devoir de tout dire à tout le monde, mais que les devoirs que nous avons les uns envers les autres dépendent de la nature et de la proximité de notre relation. Sans doute faut-il chercher là ce que je dois à autrui, et être conscient que ce que je déciderai alors de faire engagera la nature de notre relation.

Luc Ferry / Spinoza et Leibniz, le bonheur par la raison

Et encore une fois un titre accrocheur, qui ne remplit pas ses promesses. « Le bonheur par la raison » était-il donné en sous-titre, mais c’est très indirectement que l’on trouvera un quelconque rapport avec le bonheur en ces pages. C’est même à peine si on nous parle de Leibniz. Un titre plus honnête aurait été « pourquoi le système de Spinoza, d’après M. Ferry, ne tient pas ». Cela dit, mis à part la déception que ressentira tout auditeur de ce CD qui espérait en apprendre sur le bonheur chez Leibniz et chez Spinoza, il restera pour les amateurs de philosophie, 1h15 de cours consacré à une certaine lecture de Spinoza plutôt agréable à écouter.

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Le bonheur chez Pascal

Blaise Pascal (1623-1662) est à la fois mathématicien et moraliste. Comme mathématicien, il invente à 19 ans la « pascaline » (première machine à calculer), prouve la pression de l’air, invente le concept d’espérance en probabilités… Déjà rapproché de la religion chrétienne à la mort de son père, il connaît une nuit d’extase mystique le 23 novembre 1654. Dès lors, Pascal se consacre à une apologie de la religion chrétienne.

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Il est plus difficile de tirer une conception unifiée du bonheur chez Pascal, compte tenu du caractère fragmentaire et incomplet des Pensées. Ce qu’on peut remarquer cependant, au fil des extraits, est le caractère tragique que prend le bonheur chez Pascal. En effet, tout en disant que le bonheur est recherché par tout le monde, qu’il est « le motif de toutes les actions de l’homme, jusqu’à ceux qui vont se pendre »[1], il affirme en même temps, de façon certes Lire la suite

Étienne Jalenques / La thérapie du bonheur

Voilà encore un exemple de ce que j’appelle un « titre d’éditeur », c’est-à-dire un titre pensé pour accrocher mais qui ne correspond que vaguement au contenu de l’ouvrage. Le livre aurait aussi bien pu s’appeler « la thérapie du Dc Jalenques + quelques principes de bon sens sur la vie ». Cela dit, il y a quand même du bon dans l’ensemble (je profite de l’occasion pour préciser que je ne vous propose qu’une sélection d’ouvrages, les moins intéressants étant simplement passés sous silence, il y a donc toujours quelque chose de positif dans les livres proposés). Ce livre, très personnel tant dans le contenu que dans la forme, se divise en trois parties distinctes. Dans la première, l’auteur nous parle de lui et de ses débuts ; dans la dernière, il expose le déroulement des séances de la méthode thérapeutique qu’il a mis au point. À moins d’un intérêt particulier, vous pouvez les sauter. Reste au milieu une centaine de pages, 20 petits chapitres, qui sont autant de rappel des principes de base d’un fonctionnement sain : nos enfants ne nous appartiennent pas, nos limites ne limitent pas notre bonheur, nous n’avons pas d’obligation à être utiles, vivre la souffrance sans s’y éterniser est la meilleure façon de la dépasser… L’ensemble est assez personnel, disais-je : l’auteur y mêle l’exposition de principes personnels, des cas thérapeutiques, des paraboles, le tout avec une forte inspiration des sagesses yogiques. Il nous livre ainsi un condensé de ce qui a manifestement été une recherche sincère et poussée du sens de la vie et de l’action bonne. On peut regretter le côté un peu brouillon ou désapprouver certains partis pris, mais on a parfois la bonne surprise de trouver des phrases qui donnent à penser, et c’est bien là le principal. À moins que vous ne soyez vous-même déjà un sage, vous trouverez sûrement dans ces pages de quoi réfléchir un peu.

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Le bonheur chez Alain

De son vrai nom Émile Chartier (1868-1951), Alain fut, par choix, professeur de lycée pendant toute sa carrière. Lui, qui semble-t-il n’avait pas son pareil pour captiver ses élèves, a fortement marqué par son enseignement des personnalités comme Raymond Aron, Simone Weil, Julien Gracq, George Canguilhem ou encore André Maurois. Pendant la guerre de 1914-18, il est engagé volontaire comme simple soldat et refuse de passer officier. Il sera également chroniqueur pendant toute sa carrière de petits articles de réflexion de forme littéraire touchant tous les domaines : les « propos ».

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On n’identifiera pas une thèse claire du bonheur chez Alain. Cela tient à la forme de son petit recueil Propos sur le bonheur. En effet, ces « propos » étaient à la base des chroniques hebdomadaires se rapportant au thème du bonheur, écrites entre 1906 et 1926, et qui invitaient le lecteur à une réflexion philosophique. Les 93 chapitres sont autant de petites esquisses, moins sur l’art d’être heureux, finalement, que sur celui de ne pas se gâcher la vie. Et c’est peut-être la meilleure façon de toucher son but, car comme le souligne Alain, « le bonheur est divisé en petits morceaux » et arrive d’abord quand on ne le cherche pas. Lire la suite

Le bonheur : inné ou acquis ?

Le consensus actuel parmi les chercheurs, derrière le généticien David Lykken, est de considérer que dans notre sentiment subjectif de bien-être, 50% viendrait de la génétique, 10% uniquement de nos conditions de vie, et 40% de nos propres dispositions. Ou pour le dire autrement : moitié de l’inné, moitié de l’acquis. On comprend bien quelle peut être la part « acquise » : l’éducation, la spiritualité ou encore nos efforts personnels pour voir la vie en rose forment les 40%, nos conditions de vie (la chance et la malchance ou encore le contexte sociopolitique large) forment les 10% restant de l’acquis. Il semble logique qu’une bonne part du bonheur vienne de là. Mais qu’en est-il de l’inné ? Que signifie que la moitié de notre sentiment subjectif de bien-être vienne de nos gènes ? Lire la suite

« Happy is the new chic »

Peut-être avez-vous remarqué, sur les abris-bus, la nouvelle pub Morgan « Happy is the new chic ». Voilà qui donne à penser, vous ne trouvez pas ? Alors, que nous dit cette pub ? 

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Premièrement, que le bonheur est « chic », ce qui peut signifier plusieurs choses. D’abord, que le bonheur est ce qui nous rend beaux et belles, c’est une parure, une valeur ajoutée dans notre rapport aux autres. Affirmation très consensuelle ici, qui nous renvoie au domaine de l’esthétique. Mais pas uniquement, car  « chic », c’est aussi un raffinement, un art de vivre : « happy » est donc un nouvel art de vivre. Eh oui, dans cette époque pas toujours drôle, on peut bien dire que le bonheur relève d’un mode de vie classieux, qui se choisit et s’entretient. Ce peut même vouloir dire que « happy » Lire la suite

Pas besoin des autres pour être heureux ?

Bah tiens… tous nos philosophes depuis l’antiquité sont arrivés précisément à la conclusion que nous ne saurions être vraiment heureux seuls. Il n’est pas jusqu’à la psychologie positive qui constate qu’au contraire, une vie sociale dense est un facteur significatif de bonheur. Et même que les extravertis sont globalement plus heureux que les intravertis. Vous doutez ? Alors en bon philosophe à l’esprit critique, nous allons tester l’assertion par son contraire : et si moi, je veux soutenir que je n’ai besoin de personne pour être heureux ? Lire la suite

Le bonheur chez Kant

Emmanuel Kant, philosophe allemand (1724-1804) passe toute sa vie à Koenigsberg (actuel territoire russe), où il se consacre à l’étude et à l’enseignement. Son œuvre immense  s’intéresse à tous les sujets. De santé très fragile, mais se sentant investi d’une importante mission, il la mène à bien en économisant ses forces par une hygiène de vie stricte et routinière. La légende veut d’ailleurs que les habitants aient réglé leur montre sur la promenade digestive du philosophe. Lorsqu’il s’éteint, ses derniers mots furent « c’est bien ». 

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Au siècle des lumières, alors qu’un enthousiasme pour le progrès sensé apporter et répandre le bonheur se lève parmi les penseurs, la conception kantienne du bonheur apparaît plus sombre. C’est que, contrairement aux philosophies eudémonistes d’Aristote ou d’Épicure, Kant ne fait pas du bonheur le bien ultime (le souverain bien) que l’homme puisse rechercher. Lire la suite